Treefrog Therapeutics, la philosophie derrière la rupture technologique
[L’interview Take Off] Déjà multi-primée, Treefrog Therapeutics vient d’être récompensée d’un prix du prestigieux concours Galien Medstartup 2020. La startup biotech basée à Pessac développe une véritable rupture technologique dans la culture en masse des cellules souches. Sa finalité : apporter la thérapie cellulaire jusqu’au patient à un coût maîtrisé, pour être capable de guérir des maladies aujourd’hui incurables. Dans cette interview, son trio de cofondateurs fait un pas de côté. On y parle de philosophie entrepreneuriale, de maîtrise et de lâcher prise, de gestion humaine de l’hypercroissance ou encore d’ambitions industrielles.
Le take off, c’est « l’entrée en vague » dans l’univers du surf : le moment où l’on quitte la position allongée pour se mettre debout et accélérer. L’interview Take off de La French Tech Bordeaux, c’est un éclairage sur la phase de décollage des entreprises prometteuses de notre territoire. En face à face, dirigeants et dirigeantes nous livrent leurs fondamentaux, leur vision, leur business model. Comment ils prennent la vague, en somme. Exceptionnellement, c’est un trio qui se prête à l’exercice. Maxime Feyeux, Kévin Alessandri et Jean-Luc Treillou sont les cofondateurs de Treefrog Therapeutics. Les deux premiers viennent de l’univers de la recherche, le troisième vient de l’industrie pharmaceutique.
La startup, membre du programme national French Tech 120, se retrouve à la croisée de la biologie et de la physique. Basée à Pessac près de Bordeaux, la pépite a mis au point une technologie lui permettant de cultiver et de faire grandir, de manière accélérée et à l’échelle industrielle, des cellules souches appelées à servir de traitements pour des maladies telles que Parkinson. Treefrog Therapeutics concentre ses efforts sur le volet industriel de sa technologie de rupture. Une approche peu classique qui vise, lorsque sa méthode sera approuvée et validée, à pouvoir adresser toute une série de maladies en même temps : insuffisance cardiaque, diabète de type 1, maladies neurodégénératives telles que Parkinson.
Les briques technologiques de Treefrog permettent d’abord d’encapsuler les cellules souches à grande vitesse, afin de les protéger, puis à les cultiver en 3D et à les amener à se différencier dans des bioréacteurs, avant de s’en servir comme traitement. La rupture induite par les travaux de recherche de la startup est double : elle améliore grandement la capacité à produire en masse, ainsi que la qualité des cellules. Logiquement, les coûts de production sont divisés par dix. A terme, Treefrog envisage de réussir à réduire ces coûts par 100 pour mettre « les thérapies cellulaires à la portée de tous », son mantra depuis sa fondation en 2018. Le premier essai clinique chez l’homme est planifié pour 2023.
Employant une trentaine de personnes, la société veut aussi contribuer à l’émergence d’une filière industrielle de bioproduction, souveraine, en France. Depuis sa création, elle empile les prix. Le dernier n’est pas le moins prestigieux, au contraire : Treefrog vient d’être désignée lauréate du prix Galien Medstartup 2020 dans sa catégorie Meilleure collaboration dans l’industrie pharmaceutique et des biotechnologies.
Maxime et Kévin, vous vous êtes rencontré dans le champ de la recherche publique. Pourquoi ne pas avoir continué dans cette voie, pourquoi avoir créé une startup ?
Kévin Alessandri : Lorsqu’on a inventé la techno, on a vu qu’elle était un des ingrédients qui permettait l’accélération technologique nécessaire pour massifier la thérapie cellulaire à un coût maîtrisé au bénéfice des patients. Et non plus un truc d’élite qui se fait dans quelques centres de soins. Quand on est dans l’académique publique, maintenant, c’est quasiment impossible d’aller plus loin. Récolter les fonds, monter les labos… On aurait mis 20 ans à faire ce qu’on a fait là en deux ans en startup. Et encore…
Cela a quelque chose de violent, de dire ainsi que dans un labo de recherche publique, aujourd’hui, on ne peut pas changer le monde…
Maxime Feyeux : Si, tu peux changer le monde, mais tout est question de temps, de vitesse et de passage à l’échelle. Historiquement, tu étais dans un labo, tu inventais un truc : les temps font que tu ne pouvais pas être la personne qui allait transférer cette invention vers le champ applicatif. La plasticité sociale n’était pas suffisante non plus. Aujourd’hui, la vitesse des évolutions technologiques, la structuration de la société, le financement des biotechs par le venture capitalism… font que cela devient possible pour le post-doc, le thésard à l’origine d’une découverte à condition qu’il accepte à un moment de passer dans le champ de l’entreprise.
Passe-t-on facilement de la casquette de chercheur à celle d’entrepreneur ?
Kévin Alessandri : Il y a beaucoup d’accompagnement, de la Région Nouvelle-Aquitaine en particulier, de structures spécifiques, de formations, mais surtout on a rencontré des gens. Des gens comme Jean-Luc sans qui on n’en serait pas là aujourd’hui. C’est ce qui nous a aidé au début : on a eu l’envie d’aller chercher d’autres talents, de coaguler des compétences, de fonder une dynamique de groupe qui est moins présente dans les labos de recherche du fait de leur organisation. Notre approche était différente : nous cherchions à fusionner les technos, on était considérés comme des weirdos dans nos labos… (rires) À la fin, tu ne sais plus ce qui appartient à qui, et c’est dur dans les labos d’être comme ça. De se dire : « Ce truc-là, nous l’avons fait ensemble », et pas « Je l’ai fait ».
Il y a eu un jour un déclic qui vous a poussé à fonder votre startup ?
Kévin Alessandri : Pour la blague, on s’est rencontré dans l’abri anti-atomique de l’Université de Genève devant une imprimante 3D. Histoire de bien assoir le cliché du duo de geeks… (rires). On avait plein d’idées de choses qu’on pouvait faire ensemble, mais de manière un peu orthogonale. Moi je faisais de la mise en forme de cellules, Maxime était sur le développement des thérapies cellulaires. On a fait deux / trois manips et moins de trois mois après, on a eu de premiers résultats clés. Ça nous a convaincu d’aller plus loin.
Maxime Feyeux : Scientifiquement, technologiquement, humainement, ça a été une sorte d’évidence et de vraie complémentarité. Et l’arrivée à Bordeaux nous a permis de bénéficier d’un contexte favorable que ce soit en termes d’infrastructures et d’écosystème : la Région, Unitec, Aquitaine Science Transfert… Et c’est cet écosystème qui nous a dit : vous êtes un peu spéciaux, il faudrait que vous rencontriez Jean-Luc Treillou !
Le fait d’affirmer de hautes ambitions interloque ?
Kévin Alessandri : Dans les labos, je n’en parle même pas. Quand on sort de l’académique et qu’on dit vouloir créer un leader international industriel… On gère de l’argent et de la technique, tout pour plaire ! Les gens pensent qu’on veut faire de l’argent alors que le but d’une boîte, c’est de faire de l’économie : ce n’est pas la même chose. C’est du dur, du pérenne, de l’impact sociétal, pas du cash ou de la liquidité. Notre paradoxe, c’est de vouloir devenir une startup industrielle. Et si nous sommes venus nous installer en France, c’est pour ça. On a regardé ailleurs. En Suisse ça les faisait baliser, ils voulaient qu’on fasse un sous-truc rentable tout de suite. Aux États-Unis, ils voulaient que la technologie soit directement appliquée à une thérapie précise car la phase de scale-up de la technologie ne les intéressait pas. A Bordeaux, l’écosystème, l’attractivité de la ville et son cadre de vie rendaient plus facile le fait d’attirer les bons profils. On en revient à la capacité, primordiale, à fédérer une bonne équipe. C’est Jean-Luc qui nous l’a dit le premier, et moi je n’y croyais pas au début : les investisseurs parient sur des équipes et sur des buts.
Maxime Feyeux : Donc l’enjeu c’est d’avoir un but, de réussir à le partager avec ton équipe et de proposer les conditions propices à ce qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Tu recrutes des gens qui sont plus compétents que toi pour faire avancer l’entreprise, il faut donc qu’ils soient bien payés, qu’ils bénéficient d’un bon cadre de travail et qu’ils soient alignés avec les valeurs de l’entreprise. C’est notamment pour cela que les premiers salariés de l’entreprise sont associés.
Jean-Luc, comment as-tu rencontré Maxime et Kévin et comment trouves-tu ta place de cofondateur vis-à-vis d’un duo soudé qui est à l’origine de la technologie ?
Jean-Luc Treillou : La rencontre s’est faite grâce à quelques personnes qui ont dit à Kévin et Maxime : « C’est rigolo votre histoire, vous devriez rencontrer Jean-Luc ». Depuis que je suis arrivé à Bordeaux, en 2012, il m’arrive plusieurs fois par an de passer deux heures autour d’une table à écouter de nouveaux projets. Ça ne débouche en général sur rien d’autre qu’une bière et un bon moment. Là, on s’est rencontré une première fois. Ayant vu plus de 300 dossiers côté venture capital, je me suis dit que si leur techno était réelle, c’était un super truc. A ce moment je ne pouvais pas m’impliquer mais ils sont revenus à la charge quelques semaines plus tard. Les choses se sont faites très simplement. Chacun est dans sa zone de compétence mais doit pouvoir se faire challenger. Je rencontre beaucoup de fondateurs qui ont une sorte de peur panique de perdre la maîtrise. Contrairement à ces gens-là, Max et Kévin ont la capacité à agréger autour d’eux, sans problématique de leadership ou d’ego, des compétences adjacentes à valeur ajoutée et à leur faire confiance, à laisser aller les choses. Ensuite, pour que ça marche, on a travaillé mission, vision, valeurs très tôt. On entend souvent que c’est un truc de grosses boîtes et que ça ne sert à rien mais on l’a verbalisé rapidement dans l’histoire de Treefrog. C’est un guide constant dans nos recrutements et dans la conduite de la boîte.
Maxime Feyeux : Jean-Luc, on l’a trouvé étrangement normal. Pas cassé, pas flippant. Ça nous a bien plu ! On a très vite compris que, pour faire ce dont on avait envie, on avait besoin de compétences complémentaires. On s’était donc pré-adaptés à faire de la place à quelqu’un. Ok on a lancé Treefrog Therapeutics, mais c’est quelque chose de vivant, qui évolue, ce n’est pas une prolongation de nous.
Hasard ou pas, vous parlez de votre entreprise comme vous parlez des cellules que vous cultivez…
Jean-Luc Treillou : Après que tu aies sélectionné et embauché les bonnes personnes, pour qu’elles délivrent ce qu’elles ont à délivrer, ça fonctionne comme pour les cellules : il faut les nourrir correctement, leur donner des bons objectifs et des moyens pour faire leur travail. Il ne faut pas croire qu’un baby-foot suffit : les gens ont besoin de savoir où on va, à quoi ils vont servir dans la big picture, à quoi ils se rattachent.
Kévin Alessandri : Il y a souvent des managers qui se disent que leur métier, c’est de pousser les gens. En vrai, quand les personnes recrutées ont envie, je crois que le rôle du manager est plutôt de les freiner pour ne pas qu’ils se crament en passant leur vie entière au boulot. On l’a vu dans les labos et nous-mêmes on l’a fait, tu peux arriver assez vite en limite. En labo tu peux prendre une pause de six mois, dans l’entreprise ce n’est pas possible. Là nous sommes partis pour cinq, six, sept ans au taquet et ça nécessite une organisation et une acceptation : on ne délivre pas de manière homogène.
Cette manière de voir Treefrog comme un organisme vivant, évoluant, vous l’appliquez également avec vos partenaires ?
Jean-Luc Treillou : C’est vrai avec les investisseurs notamment. La question qu’on s’est posée était : quelle gouvernance projetée on veut avoir ? Quel jeu de jambes avec des investisseurs alors qu’on sait que la route ne sera pas droite ? La notion de groupe associant des acteurs qui savent vivre ensemble, on l’a appliquée aussi avec eux, aussi en adjoignant des administrateurs indépendants, ni actionnaires ni dirigeants et dont la boussole est l’intérêt social de l’entreprise.
Jean-Luc, qu’est-ce qui manquait à Maxime et Kévin quand tu es arrivé ?
Jean-Luc Treillou : L’expérience vécue de tours de financement réussis, la capacité à séparer un bon investisseur financier d’un moins bon, le fait de n’avoir jamais embauché de personnes dites de niveau « C ». Être CEO, c’est un job de chien, entre guillemets ! En quelques mois, quand tu es Max ou Kévin, tu dois passer du stade de chercheur hyper fort ayant démontré à chef d’entreprise, manager, mandataire social. Cette transmutation, elle est périlleuse. Si tu rates ton tour de financement seed, tu vas rater ton tour A que tu vas faire en défensif, et du coup tu ne pourras pas embaucher les bonnes personnes, avoir la bonne ambition, et là toute ton « equity story » peut être fichue.
Comment articulez-vous le fait d’être une startup, d’aller vite, d’être gourmande en cash, avec votre promesse de soigner le plus grand nombre de personnes à un coût plancher ?
Maxime Feyeux : Ces deux axes sont-ils vraiment antagonistes ? Dans l’imaginaire commun, oui. En vrai, je ne crois pas. C’est Jean-Luc qui nous l’a appris : les fonds d’investissement investissent aussi sur du rêve, il y a donc un alignement possible entre brasser du cash et soigner tout le monde. Notre chance, c’est que les investisseurs de Treefrog partagent notre rêve de thérapies cellulaires pour tous. Pas de la même manière. Guérir les gens, c’est à la fois un objectif sociétal à long terme, un défi technologique et une manne économique colossale. Tout le but de la startup, c’est d’articuler cela et de créer de la valeur.
Quels sont vos mécanismes d’autorégulation en matière d’éthique ? Comment choisissez-vous vos partenaires ?
Maxime Feyeux : Si cet alignement n’existe pas, on n’y va pas. On a eu le cas d’un investisseur qui aurait pu apporter des millions. Son premier réflexe a été de contrôler en voulant éjecter Jean-Luc car ils entraient en compétition. On lui a expliqué qu’entre une personne qui apporte de la compétence et de la valeur dans la boîte, qui participe à la vision, et un investisseur qui a certes des sous mais n’a pas démontré un alignement de valeurs, on choisit la personne. Cette devise, la thérapie cellulaire pour tous, est notre guide éthique. Souvent, notre choix est dicté par cette question : est-ce que ça permet de toucher plus de patients ? Et d’ailleurs, ça a de la cohérence économique : en sauvant des gens, tu crées de la valeur, ou du moins tu évites sa destruction par la maladie.
Kévin Alessandri : La crise de la Covid-19 le remet en évidence : seul, un énorme tas de dollars ne sert à rien. En revanche, la traction dans la société que tu rencontres quand tu fais des choses utiles, et que tu les fais bien, peut t’amener beaucoup plus loin. On le mesure avec Treefrog : la bienveillance qu’on rencontre est énorme. Même l’électricien fait gaffe quand il vient ! (rires)
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Justement, la période que nous vivons est propice au déferlement de thèses complotistes, aux prises de parole mal informées, cet ultracrépidarianisme relevé par Etienne Klein. Obligatoirement, la thérapie cellulaire que vous portez va entraîner de la méfiance, du rejet au sein d’une partie de la société. On est éloigné de la bienveillance que vous évoquez…
Kévin Alessandri : On trouvera aussi des gens qui diront qu’on va détruire les emplois dans les hôpitaux, et d’ailleurs c’est vrai : si ça marche, on abaissera l’activité de ces hôpitaux et ça n’est pas plus mal, je crois que le contexte actuel le démontre bien.
Maxime Feyeux : Ça rejoint l’effort de communication qu’on soutient depuis le début et la constance de notre discours. Si tu veux amener une rupture dans la société, il faut l’expliquer, en permanence.
Jean-Luc Treillou : Pour une boîte comme la nôtre et sur ce sujet, il n’y a pas énormément de coup à prendre. Le seul risque, c’est de se poser en transhumaniste décomplexé. L’objet de Treefrog, c’est de proposer à terme une offre thérapeutique puissante qui n’existe pas pour des maladies qui ne se soignent pas, assez pragmatique.
Kévin Alessandri : Dans nos sociétés contemporaines, la traction qu’on rencontre quand on améliore les choses permet de dépasser ces critiques. Elles arriveront, mais le tout est de ne pas le prendre personnellement. Ce qu’on essaye de faire sera perçu plus ou moins bien, et c’est plutôt sain. C’est le même débat avec les vaccins : oui ils sont remis en cause par certains mais ils sauvent aussi des gens et évitent l’effondrement de sociétés. Au bout d’un moment, il y a une sorte de réalisme pragmatique : quand tu résous certains problèmes, quand tu améliores la vie des gens, c’est globalement plutôt bien vu par la population.
Cette notion de sauver ces vies, c’est un aiguillon pour Treefrog ?
Kévin Alessandri : Oui, mais il est très dangereux car il peut user et te rendre dysfonctionnel. Se dire que si on avait pu travailler plus dur, on aurait sauvé plus de monde, ce genre de choses… Pousser les gens dans leurs retranchements avec ce sujet, c’est malsain. Tout le monde n’a pas envie d’avoir la vie des autres dans ses mains.
Serez-vous toujours les maîtres à bord de Treefrog Therapeutics ?
Maxime Feyeux : On sera aux manettes tant qu’on sera utile à ce poste. Rapidement on s’est dit : il faut lever des fonds sinon on restera tout petit dans notre coin et on n’aura pas d’impact. L’extension de ce raisonnement, comme on est sur un modèle capitalistiquement intensif et qu’on a besoin d’argent pour atteindre le patient, c’est qu’on ne restera pas arc-boutés sur le contrôle de la boîte si cela nuit à l’objectif final.
Kévin Alessandri : Il y aura forcément un moment un jour où on ne sera plus dans notre zone maximale de compétences. Ce qui est déjà dingue, c’est d’être parti d’une idée en labo et de l’avoir amenée à devenir un véritable corps économique fonctionnel. Mais il ne faut pas être naïf : on ne peut pas tout diriger et gérer.
Jean-Luc Treillou : Vous n’avez pas d’attachement ultime à l’incarnation du commandement. A un moment donné, si la partie opérationnelle, l’exécution vous échappe, vous le ferez je crois sans état d’âme. Depuis le début la règle est claire : on s’interroge sur le bon casting dynamique. Par exemple là on est dans la préparation du tour B de financement et on s’intéresse aux compétences clés de la boîte à horizon deux, trois et quatre ans pour voir quels sont les trous dans la raquette. Cette question se pose à tous les niveaux, y compris à la direction. Penser que celui qui a eu l’idée, celui qui a fait décoller, sera le même que celui qui va faire la phase de scale-up, l’implantation de hubs aux Etats-Unis et au Japon, l’introduction en bourse ou les deals planétaires… c’est une injonction trop lourde. Et le rythme est de toute façon trop usant.
Jean-Luc, depuis le début de l’interview tu utilises le pronom « nous » pour parler de Treefrog mais tu emploies aussi beaucoup le « vous », en parlant du duo Maxime et Kévin, comme si tu faisais un pas de côté. Comment te sens-tu partie prenante de cette aventure ?
Jean-Luc Treillou : Je joue ma partition sur certains sujets mais depuis le début, je me suis astreint à ne jamais oublier que c’est d’abord l’aventure de Kévin et Max. Moi je ne suis qu’une force supplétive adjacente qui n’est là que pour un temps donné et pour livrer certaines batailles. Et ça me va très bien, je ne veux plus avoir le rythme de vie et la charge mentale qu’implique le fait d’être CEO. En tant que cofondateur, en tant que patron du board et avec un grand affectio societatis pour cette boîte, je peux dire « nous » tout en étant pleinement conscient que je ne suis pas fait pour être n°1, ni n°1 bis. Je crois que je ne suis pas fait pour avoir de numéro, en réalité. Mes KPI, c’est le ratio accélération / température. Comment aller vite et hypercroître sans se mettre dans le rouge. Comment mettre en place une gouvernance souple mais solide. Avec un grand atout : j’ai la possibilité de dire tout ce que je pense, sans biais. C’est pour ça que je dit « ils », parce que c’est leur boîte, et c’est pour ça que je dis « nous » aussi, parce que je fais partie du truc. Je suis curieux de savoir ce que Treefrog sera dans cinq ans, y compris si je n’y suis plus. Ce qui est la plus grande probabilité.
Treefrog Therapeutics cultive une grande curiosité : vous n’avez pas abordé directement le sujet par l’aspect traitements, qui aurait été plus concret pour le public et pour les financeurs. Vos efforts se portent sur l’aspect industriel de votre technologie, sur la manière d’accélérer la culture des cellules souches pour en faire, plus tard, des traitements. Pourquoi ce prisme ?
Kévin Alessandri : Parce qu’on est bizarre !
Maxime Feyeux : Je pense que Kévin a un fantasme industriel ! Plus sérieusement on a une expérience intime et très frustrante dans les labos avec la culture de cellules. Et Kévin l’a verbalisé très vite, cette dimension industrielle. Là où moi, je rencontrais un problème qui me freinait dans mes recherches et je cherchais un moyen de produire beaucoup de cellules. Kévin, lui, voyait un déploiement industriel presque social, comment une technologie a un impact sur la société via un outil industriel.
Quelles sont les prochaines étapes pour la société ?
Jean-Luc Treillou : Il y aura deux jalons clés. Le premier, c’est la signature d’accords partenariaux avec des leaders mondiaux de la thérapie cellulaire. On en a signé un, pas annoncé encore, et on espère en faire plusieurs autres dans les six prochains mois. Notre business model, c’est justement d’être des partenaires. Notre but n’est pas de produire des milliards de cellules pour le compte de ces géants mondiaux. Treefrog est là pour produire les médicaments de ces acteurs, mais notre technologie est tellement transformante qu’on en sera co-développeurs, avec notamment une partie du chiffre d’affaires du médicament sous forme de royalties, ou des accords de distribution pour les médicaments développés en interne. Le second jalon, c’est une levée de fonds qui devrait se clôturer en juin 2021 d’un montant de 50 millions d’euros.
Kévin Alessandri : Tout cela, ça reste des moyens. La levée de fonds, les contrats avec les industriels, les validations par les académiques, ce sont des leviers, des outils qui doivent nous amener à faire une première chez l’homme avec cette technologie. Après, je prendrai sans doute une petite semaine de vacances (rires).
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