Comment Geosat concilie hypercroissance, prudence et audace

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[L’interview Take Off] « On ne fait pas de la tech, on l’utilise. » Concise, la formule des dirigeants de Geosat pourrait sembler cinglante. Elle résume en fait la quête constante de sens que défend l’entreprise. Elle ne doit pas masquer non plus les grandes capacités d’innovation du groupe girondin. Ce dernier cartographique tout ce qui est possible, en 3D ou en 4D, avec une précision très fine : les villes, les réseaux, les bâtiments… Fondé en 2000 par des géomètres, Geosat s’appuie sur les dernières évolutions technologiques et sur son propre centre de R&D. Enchaînant les années de croissance à deux chiffres, la société a intégré, il y a quelques semaines, l’indice 2021 du French Tech 120. En hypercroissance, Geosat revendique pourtant une stratégie prudente et un attachement à la rentabilité. Ce qui n’empêche pas l’audace. 

Le take off, c’est « l’entrée en vague » dans l’univers du surf : le moment où l’on quitte la position allongée pour se mettre debout et accélérer. L’interview Take off de La French Tech Bordeaux, c’est un éclairage sur la phase de décollage des entreprises prometteuses de notre territoire. En face à face, dirigeants et dirigeantes nous livrent leurs fondamentaux, leur vision, leur business model. Comment ils prennent la vague, en somme.
Geosat, elle, est debout sur la planche longtemps. Mieux : le groupe, qui s’approche des 500 collaborateurs, continue à accélérer ! Son trio dirigeant, composé de Mathias Saura, Cédrik Ferrero et Lionel Raffin, explique comment.

Comment résumez-vous la proposition de valeur de Geosat ?

Mathias Saura : « Notre métier, c’est la mesure et représentation très fine de cette mesure en 3D et 4D. Réseaux, espaces urbains, bâtiments… Nous cartographions tout ce qui est cartographiable, qu’elle que soit la méthode que nous employons : véhicule avec capteurs embarqués, laser, GPS, etc. Nous réalisons ensuite des doubles numériques les plus justes possibles à l’échelle d’une usine, d’une ville, d’une métropole…  Ceci, c’est le cœur de notre métier, que nous déclinons en fonction des besoins de nos clients : contrôle de la stabilité d’ouvrages, modélisation de structures, etc. »

Quelle a été votre réaction à l’annonce de la sélection de Geosat au sein de l’indice French Tech 120 ?

Cédrik Ferrero : « Il y a un effet waouh, avec le fait d’entrer dans une sélection dont beaucoup de noms sont très médiatisés tels que Devialet, Deezer… La surprise du chef a été la présence de Scality, avec qui nous discutons en ce moment et qui est juste à côté de nous dans la cartographie du FT120. »

Mathias Saura : « Nous le prenons aussi comme une belle reconnaissance pour nos équipes et leur travail. On attend de cet indice FT120 de la visibilité et des échanges avec ses autres membres pour avancer le plus vite possible. De prime abord, cela peut surprendre certains de voir Geosat, une entreprise fondée par des géomètres, au milieu des acteurs de la tech. Mais en même temps c’est évident car tout ce que l’on fait est ultra numérique. Pour nous qui vivons cela au quotidien, c’est donc assez logique. C’est une belle reconnaissance du fait que le numérique est aujourd’hui le moteur d’un métier plein de rigueur et de traditions par ailleurs. »

Cédrik Ferrero : « Nous faisons un vieux métier pas du tout poussiéreux poussé par l’enjeu, très fort aujourd’hui, de la consommation de la géodata par de nombreuses applications. Geosat se retrouve dans le bon sillon, portée par les évolutions technologiques, mais ce n’est pas le fruit du hasard : on a provoqué ces choses-là au fil de l’histoire de l’entreprise. »

« Au sein de Geosat, il y a plein de métiers différents. C’est ça qui a fait la force du groupe dès le début »

En janvier dernier, Geosat fêtait ses 21 ans. Cette appétence pour l’innovation était un postulat de départ ou s’est-elle construite petit à petit ?

Cédrik Ferrero : « La genèse est très portée sur l’innovation. Lorsque nous avons lancé Geosat, nous étions sur un métier de niche. En concurrence frontale, nous nous serions fait cannibaliser car dans ce marché comme partout ailleurs, il y a des prédateurs. Il fallait donc imaginer des choses pas encore développées. Voyant que ça accrochait, ça nous a amené à des rencontres avec qui ça a matché. Nous apportions une compétence et ces rencontres ont amené autre chose, des enjeux, des besoins qui nous ont permis de monter d’un cran dans l’innovation et dans l’expertise. Nous co-construisons ainsi nos projets mais en ayant toujours en tête la question du sens.
On ne fait pas de la techno pour le plaisir de la techno. On a par exemple travaillé sur l’imagerie en proche infrarouge autour de la santé du végétal. Cela nous a amené dans un champ complètement inconnu pour nous mais qui nous a apporté des esquisses de solution pour d’autres problématiques. A l’époque, nous étions trop petits pour avoir les coudées franches et aller plus loin mais ça nous a mis le pied à l’étrier et amené à développer cette vision de l’innovation. »

Lionel Raffin : « Geosat a toujours cherché à être à l’avant-garde des métiers de la cartographie, de la topographie, de la captation de mesures et de leur représentation. Finalement, on fournit de la donnée, des jumeaux numériques, pour que quelqu’un en fasse quelque chose. On donne donc des possibilités d’usages nouveaux mais dans le même temps, ces projets nous donnent la possibilité de travailler sur des thèmes qui vont nourrir notre expertise. La carte a toujours été stratégique, autant pour un champ de bataille que pour construire un bâtiment : tout le monde se retrouve autour afin d’imaginer quelque chose. Geosat fournit cette carte, cette base, cet alphabet qui va permettre d’inventer et d’aller plus loin dans les économiques d’énergies, l’amélioration des transports… sans jamais perdre de vue la nécessité pour nos clients d’industrialiser. Ces dernières années, nous avons par exemple beaucoup travaillé sur la sécurisation des chantiers avec la détection des réseaux. Nos cartes ont du sens car derrière, elles permettent d’éviter des accidents. »

Mathias Saura : « Aujourd’hui au sein de Geosat, il y a plein de métiers différents. C’est ça qui a fait la force du groupe dès le début. Il y a des géomètres, des géomaticiens, des géophysiciens, des architectes, des informaticiens, des data scientists, des géomorphologues… Tout ce petit monde réunit assez de compétences complémentaires pour trouver des solutions aux problèmes des clients. Souvent, quand quelqu’un bute sur un problème, il y a quelqu’un à côté qui va lever le doigt et proposer une idée pour aller plus vite et plus loin. »

Geosat a grandi avec un bon sens paysan très présent : on ne mise que ce que l’on est capable de perdre.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous financer différemment au bout de 19 ans, en levant 10 millions d’euros en 2019 ?

Mathias Saura : « Fondamentalement, nous n’avons pas changé de prisme et continuons à préserver notre rentabilité. Pourquoi lever ? Geosat a toujours été en très forte croissance et dans ce cas de figure, c’est toujours tendu entre le niveau d’endettement, les capacités d’investissement… Avec 40% de croissance par an de manière répétée, même la rentabilité a du mal à soutenir le besoin en fonds de roulement. Cette levée de fonds est un filet de sécurité, un renforcement des fondations en cas de difficulté, de façon à pouvoir surmonter une énorme difficulté si jamais elle se présente.

Geosat a grandi avec un bon sens paysan : on ne mise que ce que l’on est capable de perdre. Or, nous souhaitions aller plus vite au niveau national, international et R&D, ce qui nécessite des capitaux. Si ça se passe mal, que faisait-on ? Plus le groupe s’étoffe et plus le risque grandit. La levée permet de nous concentrer sur la réussite et d’avoir ce filet en cas de souci.
Aujourd’hui, on a deux projets qui vont potentiellement nous amener à piocher dans ces fonds. Et, peut-être, à lever à nouveau car ils nous amènent à sortir de notre cadre habituel de financement. Plus on avance, plus le marché répond et plus on se dit qu’il faut continuer à prendre des positions.

Lors de cette levée de fonds en 2019, nous avions aussi cherché des personnes qui pouvaient nous aider. Sur ce point, Société générale, Bpifrance et Ouest Croissance nous ont beaucoup aidé dans nos prises de décision, sans être intrusifs. »

Habituellement, ce qui est levé est rapidement dépensé. Vous, vous n’avez pas touché à ces 10 millions. Cela ressemble presque à une posture défensive…

Cédrik Ferrero : « C’est le principe du voltigeur : s’il veut réaliser une figure qu’il n’a jamais tentée, il veut mieux qu’il ait un filet de protection ! Il aura beaucoup plus de chances de la réussir s’il se sait en sécurité, plutôt que s’il tremble de crainte de tout perdre. Ce n’est pas défensif : au contraire, je le vois comme une capacité à être plus offensif. »

Si l’on se penche sur votre déploiement international, on vous retrouve au Mozambique ou au Portugal. Ce ne sont pas des destinations usuelles dans l’univers de la tech. Qu’est-ce qui vous a amené sur ces territoires ?

Lionel Raffin : « Nous voulons toujours apprendre progressivement pour ne pas se rater. On s’est donc dit que le Portugal était une bonne option pour démarrer à l’international, plus facile que les USA ou la Chine. Après, tout est une histoire de rencontre. On y a trouvé un acteur très efficace et très compatible que l’on a repris. Il se trouve qu’il avait une société sœur au Mozambique.

Si l’on se penche sur les pays africains, ils ne vivent pas l’évolution de la technologie de manière linéaire comme nous. Ils font des bonds technologiques qui peuvent emmener très loin. Je prends un exemple : aujourd’hui au Mozambique, on peut cartographier avec des drones par exemple, ce que la législation interdit en France. Ce type de demandes nous amène donc à aller plus loin que ce qu’on propose habituellement. C’est la même chose avec le téléphone : ils ne sont pas passés à l’étape du filaire dans toutes les maisons avant de passer au portable. Travailler sur le continent africain nous permet parfois de faire des sauts technologiques en avant. »

« La structure interne de Geosat change tous les deux ans »

Quels sont vos enjeux dans les prochains mois ?

Mathias Saura : « Une des priorités est la poursuite de la recherche et développement, notamment autour de la smart city telle que l’on conçoit avec des cartes très précises. Autre enjeu : cette tour de Babel qu’est l’Europe, ses nombreuses langues et ses tout aussi nombreuses législations, rendant compliqué le fait de s’y développer. Mais ça, c’est je pense le problème de toutes les entreprises de La French Tech et d’ailleurs ! Troisième sujet, celui du recrutement. C’est toujours complexe de trouver les bonnes personnes au bon moment et au bon endroit qui vont nous permettre d’avancer. Jusqu’à présent, on a eu beaucoup de chance mais la croissance que nous soutenons, et les embauches associées, nous obligent à changer la structure interne de Geosat tous les deux ans. »

Geosat travaille depuis les années 2015 sur la question des véhicules autonomes. Les acteurs de cette filière ont longtemps été tiraillés par la dualité cartes VS capteurs. Le débat est-il tranché aujourd’hui ?

Cédrik Ferrero : « Il reste encore des vestiges des adorateurs du tout-capteur, on en croise encore dans les groupes de discussions ministériels par exemple. De notre côté on estime que ce qui fonctionne le mieux, c’est un véhicule équipé d’une carte ultra-précise à haute densité, augmentée avec le système GNSS. Aucun capteur de vision n’offre, aujourd’hui, les mêmes garanties. Malgré les dernières résistances, ce débat est quasiment tranché aujourd’hui en faveur de la carte qui s’interface avec un réseau de capteurs embarqués. Les industriels et les académiques qui ont travaillé dessus ont fait pencher la balance pour l’hybridation des solutions. On cravache aujourd’hui notamment sur l’interaction entre la carte et les données issues de ces capteurs, car derrière l’enjeu est la sûreté de fonctionnement à un niveau maximum. Ce qu’on attend tous.
La façon dont nous réalisons nos cartes est aujourd’hui majoritairement issue de l’apprentissage profond. J’aime bien l’interview de Patrice Caine donnée dans Le Monde en 2019 et dans laquelle il se positionne en faveur d’une intelligence artificielle de confiance. Pouvoir quantifier le niveau de confiance, c’est un sujet très important et que l’on souhaite d’ailleurs généraliser à l’ensemble de nos prestations. »

Les acteurs publics ont-ils encore trop tendance à déléguer ces thèmes aux grands acteurs technologiques, les Google, Waze, etc… ou notez-vous une tendance à la reprise en main ?

Mathias Saura : « Il y a des plans européens lancés, celui du chemin de fer par exemple, et des groupes d’échanges pour harmoniser les politiques. Cela n’empêchera pas par exemple des accords entre Renault et Waymo (filiale de la maison-mère de Google, NDLR)… Plus globalement, le temps du POC est révolu. Aujourd’hui, il y a une volonté d’engager une phase d’industrialisation avec tout ce que ça implique. L’Europe et en particulier la France ont tous les atouts, notamment en cartographie, pour tirer leur épingle du jeu.
Les acteurs publics commencent à comprendre que pour ne pas être complètement dépendants des acteurs de la bigtech, notamment américains voire chinoise si elle peut se développer jusqu’ici. En France, les acteurs publics ont deux possibilités :

  • soit ils ne font pas les doubles numériques de leurs métropoles et Google le fera pour eux. Ils perdront donc toute gestion et c’est un logiciel fait à l’étranger qui décidera par où passera monsieur Dupont en voiture pour aller d’un point à un autre.
  • soit on reprend la maîtrise des choses, et on en est capable ! Si on réfléchit en coût initial, c’est sûr que c’est mieux quand c’est gratuit. Mais il vaut mieux réfléchir en coût global et se demander si on veut vraiment d’un tel modèle à l’avenir. »

Cédrick Ferrero : « Il reste la question de l’autorité compétente qui supervise tout ça. L’IA ne peut pas et ne doit pas tout gérer. La bonne nouvelle est qu’il y a une instance qui est en train d’être mise en place, des standards qui apparaissent. On va dans la bonne direction. »

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